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28 May 2019

Rêve noir

Je passais tous les jours devant. Lui, sans se soucier de moi, broutait sa belle herbe verte et grasse, paisiblement. Je n’avais jamais vu un cheval aussi beau que celui là. Certes, un expert vous aurait dit que l’attache de sa queue était trop basse, sa croupe trop large, son cou trop épais. Mais il avait une tête magnifique, un port royal et une façon de trotter, fier et élégant, qui le rendait unique. Sa robe noire était sans tâche, comme un songe luisant et inaccessible. Je passais lentement, le long de la clôture qui bordait son près, sans le quitter des yeux et je partais vers mon travail, la tête emplie de folles courses dans les vallées et les monts de la Gascogne. Un rêve de gosse, moi qui n’avais jamais chevauché que des chevaux de bois. Un grand enfant, déjà adulte, qui prenait sa part de merveilleux, avant de rejoindre le monde réel et ses contingences.

Puis il y eut ma fille. Un petit bout de nous, qui se mit a grandir et a prendre de plus en plus de place dans notre existence.

Un dimanche d’hiver, elle venait d’avoir cinq ans, nous fîmes une excursion vers un poney club voisin, pour lui montrer les chevaux. Mon épouse, ex cavalière accomplie, convaincue et nostalgique, m’avait depuis longtemps, vanté les bienfaits de l’équitation sur le corps et sur l’esprit.

Depuis son plus jeune âge, ma fille adore les chevaux. Une jeune femme complaisante, lui trouva une bombe, une selle et lui emmena un tout petit poney, velu comme un nounours, avec de grands yeux de biche et un sourire triste.

Elle était fière et je lui trouvais belle allure, engoncée dans son anorak rose, une bombe noire, trop grande sur la tête, droite sur sa monture, tenant ses rênes, d’instinct, comme une cavalière confirmée.

_ Et toi, me demanda mon épouse, une fois que nous fûmes chez nous, en tête à tête.

Moi, j’aurais aimé être à sa place, chevaucher un fier destrier, faire corps avec la bête et me lancer à bride abattue, dans un galop effréné. Mais à presque quarante ans, le corps et l’esprit deviennent réticents aux aventures périlleuses. Pourtant, le rêve était là, à portée de main et après de longues tergiversations mentales, l’envie fût plus forte que l’appréhension.

C’est ainsi que je me retrouvais, un dimanche après midi d’automne, face à un double poney, membre anonyme d’une promenade joyeuse et volubile. C’était un animal bas, large, trapu, qui répondait au nom évocateur de « Mustang ». Je m’approchais tout près, plus près encore que je n’étais jamais allé et je m’imprégnais de son odeur, de sa présence. Je passais la main sur son cou, le poil était doux, chaud, le muscle, dessous, ferme et souple à la fois. J’étais curieux, plutôt qu’inquiet et le contact de cet animal immense, réveillait en moi des joies enfantines. Monter en selle fût simple. J’étais assis, fier de mon exploit, sur mon animal impassible et je regardais le sol, sous moi, qui semblait tanguer comme un quai accroché à un bateau. La selle était confortable, rassurante, avec son pommeau de cuir et de bois, auquel je me cramponnais discrètement. Enfin tout le monde fût en selle et le maître des lieux donna le départ de la promenade. Ici, pas de manège ou l’on apprend à connaître la bête, on part directement, sans crainte, confiant en sa monture et en la providence.

_ Mustang est calme et gentil, vous verrez, m’avait dit le propriétaire en me tendant la longe qui l’attachait, un véritable fauteuil. Le poney est différent du cheval, c’est un animal de troupeau, avec lui pas d’écart, pas de surprise.

_ Et si le troupeau s’emballe ? Ais je pensé très fort.

Dès les premiers pas, je trouvais une assise. Ou dû moins, une position qui me semblait stable. J’étais bien dans ma selle, épousant les formes de l’animal et le long balancement coulé de son pas.

_ Il te faut l’accompagner par un mouvement souple des reins, m’aait conseillé mon épouse, qui se tenait, heureuse, trois cavaliers plus loin, sur un cheval qui me semblait énorme.

Alors je balançais mon bassin, au rythme de l’avancée de la bête. Balancement exagéré, qui me donnait l’impression de me livrer à un monstrueux accouplement.

Nous descendions la route en longeant le fossé. Un fossé large, profond comme un canyon du Colorado, que mon poney s’ingéniait a serrer du plus prés possible. Je regardais cet à-pic vertigineux, tandis que mon estomac faisait de nœuds, que même le manuel scout n’as jamais répertorié. Mais le poney avait bon pied, bon œil et la promenade avançait d’un pas allègre et tranquille.

_ Allez au trot ! lança soudain le chef de promenade.

Comment ça au trot !!, le fou, moi qui sur mon cheval de bois, n’avais jamais dépassé la porte de ma chambre.

Voila mon poney qui s’élance, dans une espèce de course folle, sautillant d’une patte sur l’autre, m’éjectant de ma selle pour me rattraper un peu plus loin. Le vent siffle à mes oreilles, tandis que je bondis en l’air, sur la fesse droite, sur la cuisse gauche… ; Ou est ce bon dieu de pommeau que je me raccroche à quelque chose, avant que ce soit au gazon…, avec les dents !

_ Auuu pas !

Ouf ! Fin de l’alerte. Je jette un coup d’œil discret autour de moi. Personne ne semble avoir remarqué ma pitoyable prestation de haute voltige. Quelle idée, à presque quarante ans, de vouloir aller jouer les John Wayne d’opérette, sur un mustang en folie et sans ceinture de sécurité. Pourtant, au fond de moi, il faut que je l’avoue, j’étais prodigieusement excité. Sans m’en rendre compte, je m’étais jeté dans ce corps à corps titanesque, dont mon équilibre était l’enjeu, avec une joie féroce. Nous marchions a présent, au rythme lent de nos montures et j’attendais le prochain ordre de trot avec une détermination que je ne me connaissais plus. Cette fois ci, je ne me laisserai pas surprendre. Je repassais dans ma tête les conseils et les avertissements dont mon épouse m’avait abreuvée les jours précédents. Se pencher en avant, serrer les cuisses, contact avec les genoux, trot en suspension, galop en cirant la selle. J’étais fin prêt. Quelques minutes de marche encore, et devant nous, une longue bande de terre battue. C’est pour maintenant, j’en suis sûr. Je n’ai même pas besoin d’entendre le chef de ballade qui annonce l’exercice. Déjà les premiers cavaliers s’élancent et avant que j’aie le temps de la talonner, ma monture leur emboite le pas. J’étais prêt, pensez donc ! Il a penché la tête en avant, prenant un élan énorme, pour se lancer dans de longues foulées de galop. Moi, balloté sur cette mer en furie, je me colle à lui, les cuisses, les genoux, les mollets, je n’ai pas assez de longueur pour nouer mes chevilles sous son ventre ! Je tiens le pommeau d’une main, mes rênes de l’autre, je saute encore, cirer la selle, c’est quoi déjà ? Je saute encore, mon fondement se brise, un coup en arrière, sur cette selle qui me renvoie vers l’avant, je perds le contact, me raccrochant au pommeau comme un naufragé à une épave, je tiens. Je me cramponne, le buste en avant, crispé, ramassé, m’agrippant à ma monture, pour éviter de finir en étoile filante au dessus des bois environnants. Dès le départ j’ai perdu mes étriers, mais mes jambes sont collées à lui, épousant son ventre et la transpiration me coule dans les chaussettes. Le bout de la ligne droite est là, les autres s’arrêtent, moi aussi, Tien, mes étriers sont encore accrochés à ma selle, je croyais les avoir perdus en cours de route.

Nous marchons a nouveau, et je souffle. Je ne pensais pas que ce genre d’exercice soit aussi épuisant. Peut être était ce dû à mon manque d’expérience, mais je me sentais brisé, le dos en charpie et les jambes dures comme des battes de base Ball. Demain, je vais marcher comme Luky Luke. Je me retournais prudemment, pour jeter un coup d’œil à mon épouse, qui me fit signe que tout allait bien.

La promenade se terminait, nous avions encore fait un trot et un galop supplémentaire, et à chaque nouvelle expérience, je sentais mon assise se raffermir. Certes je perdais encore mes étriers et la partie charnue de ma personne se souviendrai longtemps de ce premier contact. Mais j’étais heureux. Je venais de découvrir des sensations que je ne connaissais pas.

En descendant de ma monture, le sol tanguait sous mes pieds et j’avais l’impression d’être encore en plein galop. J’avais le corps mâché comme après une rencontre avec un rouleau compresseur et la tête bourdonnante, mais au fond de moi, une joie immense.

Depuis, tous les dimanches, je suis un cavalier assidu. Certes pas encore un champion, et ce n’est pas mon but, mais je sais faire corps avec mon cheval pour que le plaisir soit partagé. J’apprends à lui parler, à le comprendre. Lorsque nous rentrons de promenade, alors que je lui brosse le dos et l’encolure, il viens poser sa tête sur ma poitrine comme pour dire, « le cavalier n’est pas très bon, mais c’était bien tout de même ». C’est pour moi une bien plus belle récompense que n’importe quelle médaille.

Un jour, je le sais ; j’aurais mon cheval. Un beau, avec une belle tête fière et une robe noire comme celui que j’admirais tant. Ce n’est plus tout a fait un rêve, j’ai fais le premier pas.

04 May 2019

Le renard

Le renard.

 

Prudemment, il passa le nez au travers du rideau rigide des pieds de maïs. Le jour venait de se lever, et la nature était encore plongée dans un nuage diaphane de brume, des milliers de gouttelettes d'eau, qui masquaient les odeurs et brouillaient la vision. Il longeât le champ de céréales, cherchant à raz de terre, les traces d'animaux plus matinaux que lui. Il approchait de la rivière. Malgré l'humidité ambiante, il pouvait sentir la masse d'eau toute proche. Là, dans les hautes herbes qui bordaient le cours d'eau, il trouverait bien un gros rat ou une famille de campagnols à ramener au terrier.

Sa compagne n'était pas sortie depuis qu'elle avait donné naissance à quatre petits. Elle ne quitterait pas la chaleur du terrier avant quatre ou cinq jours, tant que les renardeaux ne seraient pas capables de rester seuls et tranquilles dans l’abri souterrain qu'il avait creusé au printemps dernier. Pour l'instant, il lui fallait assumer seul, la pitance de la famille. Il avait déjà pas mal écumé les alentours directs de sa demeure et maintenant, il lui fallait aller de plus en plus loin pour trouver un déjeuner digne de ce nom.

Il serait bien revenu du côté de la tanière des humains. Il avait trouvé là un enclos avec des poules balourdes et idiotes dont il avait fait son ordinaire quelques jours durant. Mais la veille, l'humain était sorti, alors qu'il passait sous le grillage avec son trophée du matin. Il avait lâché sur lui, un gros chien pataud, qui aboyait à tout va et courrait de façon gauche et désordonnée. Mais le chien lui avait fait peur et il avait dû abandonner sa proie pour se sauver sous le couvert d'une haie touffue. Il s'était tapis là, au milieu des ronces et des branches de sureau, tandis que le chien courrait le long de la haie aboyant comme un fou. Puis, il avait senti l'humain. Il était là, immense, debout sur ses deux pattes massives. Il avait à la main un long bâton noir, qui sentait l'âcre et le feu et qui jetait, sous les rayons du matin naissant, un reflet bleuté et froid. L'homme fouillât les taillis un moment, du bout de son bâton, et soudain un tonnerre assourdissant explosa juste au dessus de lui, lâchant une pluie de grêlons noirs qui hachât les branches tout autour. Terrifié, il s'enfuit de toute la vitesse de ses pattes, tandis qu'une autre explosion faisait vibrer l'air, et que la grêle dévastatrice s'abattait à l'endroit où il était l'instant d'avant. Lorsqu'il le vit, l'humain poussa un cris modulé et terrible, "Taïaau!!" Qui excitât un peu plus le chien et le poussa à se jeter à sa poursuite. Il courrait comme un panache de fumée, ondulant à même le sol, jetant ses pattes en tous sens, la truffe au ras des herbes, semblant seule guider ce grand corps désarticulé, sur la trace exacte de son odeur à lui, qui fuyait loin devant. Le chien ne courrait pas vite, mais il avait de la constance, son flair était bon et son instinct puissant.

Le renard savait reconnaître un adversaire, et celui ci était de taille à lui poser des problèmes. Avant tout, il fallait l'éloigner d'une des pistes qui aurait pu le conduire au terrier, et essayer de le perdre plus haut, dans les bois touffue ou vers le trou, qu'avaient creusés les humains dans la montagne, pour en voler la pierre.

Le soleil avait commencé à retomber de l'autre côté de la colline, lorsqu'il avait enfin réussi à se débarrasse de son encombrant poursuiveur. L'humain les avaient bien suivis un court moment, lâchant encore deux puissants coups de tonnerre, mais sans qu'il ne sente ni n'entendent la pluie de grêle. Le chien avait été plus constant. Il l'avait poursuivi dans les bois qui coiffaient la colline, dans les hautes tiges des maïs, dans les champs retournés qui sentaient bon la terre profonde. Enfin, dans les berges boueuses de la rivière ou il avait réussi à diluer son odeur pour que le chien, de guerre lasse, perde sa trace et s'en retourne chez son maître, non sans avoir tourné encore et encore, la truffe au ras du sol.

Il avait bien pensé rentrer le ventre vide et sans pitance pour sa petite famille. La course l'avait épuisé et il se sentait las et sans forces. Heureusement, en remontant le lit de l'onde, pour revenir vers son territoire, il avait trouvé un nid de bécasse, bien enfouis dans les hautes herbes. Les petits étaient bien malignes, mais la mère l'avait attaqué et il lui avait suffit d'un coup de dents pour s'assurer que le déjeuner serait copieux.

A présent, il revenait dans les herbes luisantes et grasses, chercher une autre proie. Il se tenait à la lisière de l'eau, là ou le courant faisait clapoter les longues lames jaunies ou se cachaient les grenouilles et les larves de moustiques. Il avait trouvé un poisson, quelques jours auparavant, qui flottait le ventre en l'air. Il l'avait ramené sur la berge, mais son odeur était mauvaise, mauvaise comme celle que charriait le fleuve, certains jours. Cela venait d'une grande tanière de pierres rouges, qu'avaient bâtis les humains, avec une longue langue élevée, qui retenait l'eau en un lac calme qui avait noyé une grande partie des terres, plus haut, presque dans la montagne. Les humains transformaient le paysage, ils construisaient des tanières nombreuses et serrées, sans se soucier de détruire l'habitat d'autres espèces.

Il remonta un long moment, fouillant les hautes herbes, espérant qu'une autre bécasse aurait eu l'idée de faire son nid à cet endroit là.

Soudain il se figea. Une odeur connue venait de frapper ses narines, une odeur forte, tout près, trop près. Il se tapis sans mouvement brusque, se faisant le plus petit possible au raz du sol. Le chien passa à deux mètres de lui, Heureusement le vent soufflait dans sa direction et il ne le remarquât pas de suite. C'est peut être la tâche fauve de son pelage qui alerta l’œil du chasseur. D'instinct, le renard senti le danger, il fit un bond au moment même ou le chien le remarquait. Il fila dans les hautes herbes, se faufilant pour essayer d'en faire bouger le moins possible, mais c'était trop tard. Il y eut un long hurlement rauque et profond, puis le bruit d'une course effrénée qui dévastait tout sur son passage. Soudain il fût a découvert, sorti trop tôt des grandes tiges qui le protégeait pour se retrouver sur un chemin de terre qui filait entre les champs cultivés. L'humain était là, son grand bâton noir à la main. Ils se regardèrent un instant, aussi étonnés l'un que l'autre, puis l'homme fit un geste, tendant vers lui le tube au reflet sinistre. Le renard bondit a nouveau, traversant le chemin pour courir vers les bois au moment ou le tonnerre éclatait une fois, puis une fois encore, accompagné de la pluie de grêlons noir, qui s'enterrèrent dans le sol, tout autour de lui.

- Taïauu !! criât l'humain, comme un défi ou un appel, tandis que le chien se lançait de plus belle sur la piste fraîche.

Cette fois, l'humain ne semblait pas vouloir lâcher la traque. Il courrait au travers des bois, suivant la course du chien et de sa proie, soufflant comme un vent de tempête. A plusieurs reprises, le renard coupa sa course, sentant au passage son odeur acre et musquée. Il y avait de la rage dans ces effluves là, de la colère et peut être, un relent de mort, qui flottait derrière lui comme une ombre attachée à ses pas. A chaque fois qu'ils furent a portée de vue, l'homme levait son grand bâton, faisant mine de suivre sa course, et le tonnerre grondait, faisant jaillir la terre et les feuilles mortes tout autour de lui.

Il courrait, à la limite de son souffle, devant le chien hurlant comme une bête malfaisante, évitant les champs labourés et les friches trop rases. Il courrait, sa longue queue fauve en panache, sautant les souches mortes et les larges flaques de boue. Mais ses pattes commençaient a devenir lourdes et ses coussinets si souples à le faire souffrir. Il avait essayé toutes ses ruses, se cachant dans les haies touffues et épineuses, traversant les ruisseaux qu'il suivait un moment pour noyer sa trace, cherchant l'odeur du sanglier en espérant qu'elle couvrirait la sienne. Mais le chien était toujours là, le talonnant de son aboiement rauque, bougeant à son tour pour l'obliger a infléchir sa course et le rabattre vers l'homme. L'homme et son nuage de feu et d'acier qu'il lançait vers lui, dans un grondement terrifiant, a chaque fois qu'il le voyait. C'était un tonnerre mortel, il en avait vu les effets sur un pauvre passereau qui s'était fait faucher par la grêle sifflante, qui hachait les feuilles et faisait se soulever le sol. Au détour d'un bouquet de bouleaux, il trouva un grand tronc d'arbre couché, dévoré par les thermites, ou il pût se cacher un moment et calmer son cœur à la limite de l'explosion. Il avait tant et tant tourné entre le arbres du bois, que ses traces se recoupaient, faisant un entrelacs inextricable et confus. Le chien passât a côté de lui sans le voir, suivant chacun de ses pas, allant et venant pour chercher la piste la plus fraîche. Pour l'instant il s'éloignait, mais il allait revenir, et le trouver là, tapis dans l'ombre salvatrice de cette cachette. Il ne fallait pas qu'il se fasse bloquer ici, c'était trop risqué, trop dangereux. Il quitta son abris sur la pointe des pattes, humant l'air de son museau pointu. Le chien avait descendu la colline et courait encore sur des traces anciennes, mais il allait remonter. L'humain était plus haut, à la lisière du bois, presque au bord de la falaise. Mû par une impulsion soudaine, il se précipita au milieu du chemin et remonta vers la position de l'homme. En bas, le chien se mit a aboyer plus fort, il avait repris la chasse, trouvé son dernier passage et il se précipitait vers lui. Il accéléra sa course, tout en prenant soin de laisser son poursuivant le rattraper un peu. Enfin, entre deux arbres, il aperçut le haut de la colline. Il obliqua vers l'est, se dirigeant vers la lisière du bois, puis il longea les derniers arbres, revenant vers l'ouest, face au soleil qui commençait a baisser sur l'horizon. Enfin il se trouva un buisson touffu, qui pouvait le dissimuler, juste entre le chemin par lequel le chien devait arriver, et l'humain campé sur le bord de la falaise. Les aboiements se rapprochaient et il ne dût pas attendre longtemps pour que son poursuivant apparaisse enfin là ou lui même se tenait un instant plus tôt. Alors il franchit la lisière, entrant dans la lumière de cette fin d'après midi. En face de lui, le chien le vit et poussa un long hurlement de colère et de frustration. L'humain le vit également, il leva son bâton pour tenter de le mettre en joue, mais il avait le soleil en face, pas aveuglant encore, mais gênant. Le renard fit encore un pas en avant, surveillant de l’œil ses deux ennemis, il avançait d'un pas tranquille, comme s'il ne les avait pas vu. Devant cette désinvolture, le chien devint fou de rage, il prit un élan énorme, faisant un bond formidable vers sa proie, babines bavantes et dents en avant. L'homme était perturbé par le soleil déclinant qui jouait à cache cache entre les arbres.

Enfin il le vit, ce renard qui avait décimé son poulailler et qui le faisait courir depuis deux jours. Il leva son fusil, mit l'animal en joue et pressa les deux détentes simultanément.

 

Le tonnerre éclata, plus puissant et plus terrifiant que jamais, au même instant le chien arrivait sur lui, gueule béante, prêt a déchirer sa chair. A ce moment il bondit à son tour, se jetant vers le chien, se protégeant contre son flanc de la grêle mortelle. C'est l'humain, qui poussa un hurlement puissant et désespéré, il fit quelques pas, regardant son compagnon, dont le corps immobile se vidait de son fluide de vie. Le renard bougea doucement, le corps de son ennemi pesait sur ses pattes arrières, son pelage était poisseux et sanguinolent. Il s'accrochât à la terre de toute la force de ses pattes avant, tirant pour se dégager, mais une douleur intense lui déchira le flanc gauche. Une des billes de fer l'avait atteint et il sentait la brûlure qu'elle irradiait dans ses entrailles. Il fallait pourtant qu'il se dégage, l'homme s'approchait a pas prudents. Redoublant d'efforts, grimaçant sous la douleur, il finit enfin par se sortir de sous le poids mort qui le bloquait. Son ventre le faisait souffrir ; il aurait voulu se sauver a toutes jambes, mais il pouvait a peine laisser traîner sa patte gauche tant le moindre effort le déchirait. Il se traînât doucement vers un des énormes rochers qui bordait la falaise, cherchant à se cacher à la vue de l'humain. A bout de forces, épuisé tant par sa longue course effrénée que par sa blessure, il s'allongea là, bouche ouverte et la langue pendante, cherchant un troisième souffle ou une seconde vie. Une ombre immense se profila sur le bord du rocher, obstruant le soleil, puis l'homme apparut enfin, se glissant le long du vide, prudent et peureux. Le renard ne bougeait pas, il avait fermé a demi les yeux, faisant le mort, retenant sa respiration. L'homme s'était maintenant glissé tout entier sur l'étroite bande de terre entre le rocher et la falaise, il se penchât doucement, avançant la main pour tâter le pelage et voir si sa proie était bien morte. Au moment ou il allait le toucher, utilisant ses dernières forces, le renard bondit, visant cette main qui se tendait vers lui, babines retroussées, crocs en avant. L'homme se redressa brutalement, faisant un pas en arrière pour échapper aux dents acérées ; la terre du bord de la falaise se déroba sous son pied, il bâtit un instant des bras, cherchant a s'appuyer sur l'air, lâchât son bâton en espérant retrouver un équilibre, et disparût dans le vide avec un hurlement long et terrifiant.

 

Le renard reprit conscience alors que le soleil se levait de l'autre côté de la vallée. Le froid avait engourdi sa patte, mais il souffrait moins. Se levant avec difficulté, il s’approchât du bord de terre, pour regarder en contrebas. L'humain était là, couché sur le dos, les yeux ouverts sur le ciel qui pâlissait, sa tête formait un angle improbable avec son corps. Claudiquant sur sa patte douloureuse, il sortit de derrière le rocher et revint vers le cadavre du chien. Déjà les corbeaux qui tournoyaient dans le ciel commençaient a picorer des lambeaux de chair. Il les chassât d'un jappement furieux, puis attrapât la dépouille par la queue et commença à la traîner vers son terrier. Ils auraient de quoi manger pendant quelques jours, le temps que sa blessure guérisse et qu'il puisse repartir à la chasse.

21 Oct 2018

Prémonition

Je vous ai promis de mettre ici, de temps en temps, quelques nouvelles ou histoires courtes. Voici la première.

Prémonition.

Un petit matin tout pâle se levait sur le grand parc glacé.

Assise derrière sa fenêtre, Edda observait.

Au travers du brouillard qui noyait les choses, le soleil faisait une ombre de clarté. Si la brume se levait, il ferrait une belle journée.

De son fauteuil, le nez contre la vitre, Edda écoutait respirer la maison. Comme toujours, elle était la première debout. Un quart d'heure avant le lever du soleil, comme le lui avait appris son mari

_ Il faut savoir se lever tôt, pour faire fortune, avait il l'habitude de dire.

Et il avait fait fortune.

ansIl avait laissé à sa femme et ses enfants un véritable empire. Aujourd'hui, à 86 ans, Edda ne s'occupait que rarement de l'entreprise familiale. Édouard et Charles, ses deux fils, avaient pris la relève.

Mais cela ne l’empêchait pas de se lever toujours un quart d'heure avant le soleil.

Elle se mettait devant sa fenêtre et regardait le jour grandir, jusqu'aux premiers bruits de la maison.

La pendule du salon égrena six heures. Édouard n'allait pas tarder a frapper à sa porte pour venir l'embrasser. Il était toujours le premier a se lever, Charles était plus paresseux.

La pendule égrena a nouveau six petits coups grêles et l'on frappa discrètement à sa porte.

_ Entre !

Édouard, en robe de chambre, les cheveux encore en bataille, entra et vint déposer deux baisers sur ses joues burinées.

_ Avez vous bien dormis, demandât il, en s'asseyant dans le fauteuil en face d'elle.

_ Bien mon fils, je te remercie, et toi ?

_ J'ai fais un rêve affreux. Je ne vous en ais pas parlé jusqu'à présent, mais c'est la troisième fois que je fais le même rêve en une semaine. J'ai un terrible pressentiment.

Edda sourit. Elle ne croyait ni aux prémonitions, ni aux signes du destin. Son défunt mari lui avait appris que le destin n'était qu'une affaire de volonté.

_ Vous ne m'écoutez pas mère§

Elle sursauta.

_ Pardon, que disais tu ?

_ Je disais que j'ai peur qu'il n'arrive quelque chose à Charles.

_ Que veux tu qu'il arrive à Charles ?

_ Je ne sais pas, voila trois nuits que je rêve d'un enterrement. Nos cousins, nos amis marchent derrière le corbillard, mais j'ai beau demander qui est le défunt, nul ne me répond. C'est comme s'ils ne me voyaient pas. Tout le monde est là, vous, Georges le chauffeur et Martha votre gouvernante. Seul Charles manque à ce triste cortège. A chaque fois, à la fin de mon rêve, je me tourne vers vous pour vous poser ma question litanique, vous me regardez avec des yeux remplis d'effroi et vous vous évanouissez.

Edda avait écouté son fils patiemment, un petit sourire narquois aux lèvres. Il le connaissait ce sourire, c'était le même que celui de son père. Un sourire d'ironie et de dédain. Bien souvent il précédait une réflexion acerbe, un trait d'humour au vitriol. Édouard ferma les yeux, attendant la sentence aigre. Trois coups frappés à la porte de la chambre le sauvèrent et Charles entra à son tour.

Charles était tout l'inverse de son frère. Autant Édouard était grand, sec et nerveux, autant Charles était trapus, musclé et toujours d'un calme olympien. Leurs caractères aussi se complétaient et l'amalgame des deux donnait un potentiel de travail qui faisait le bonheur de l'entreprise depuis le décès de leur père.

Charles embrassa sa mère et après quelques bavardages de convenance, ils descendirent tous trois pour prendre le petit déjeuner dans le salon.

Au rez de chaussée, les domestiques avaient dressés la table et le café fumant n'attendait que les convives.

Comme d'habitude, Edda entra la première, suivie des deux garçons. Elle se dirigea vers le bout de table et s'assit dans le grand fauteuil à haut dossier qui avait été celui de son mari.

 

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Dehors, le brouillard avait encore épaissi et le soleil ne faisait plus qu'une maigre tâche claire dans un univers de gris.

Edward remonta le col de son manteau et couru jusqu'au garage. Georges, le chauffeur, était déjà là et frottait consciencieusement les chromes de la Rolls blanche.

Il astiquait ainsi tous les jours. Edda voulait toujours avoir une voiture irréprochable.

_ Ces messieurs auront besoin de moi, demandât il à l'arrivée d'Edward.

_ Non ! Nous prendrons ma voiture, répondit le jeune homme, s'installant derrière le volant d'une Maseratti dont il fit ronfler le moteur avant de démarrer en trombe.

Il arrivât devant le perron au moment ou son frère sortait de la maison.

Derrière sa fenêtre, Edda regarda s'éloigner la petite voiture rouge, sur l'allée de gravier, jusqu'à ce que le brouillard la lui cache.

Edward conduisait vite, trop vite et trop sèchement au goût de son frère. Charles n'aimait pas être obligé de descendre à l'usine avec la Maseratti, il préférait sa Bentley, plus lourde et surtout plus lente. Mais Edward prenait un malin plaisir a être le premier au garage, alors Charles passait le court trajet qu'ils faisaient tous les matins, a essayer de tempérer son frère.

_ Ne t'en fais pas, disait Edward, un sourire aux lèvres, je connais cette route par cœur. Regarde, a cinquante mètres un virage à droite.

Et il y avait un virage à droite.

Charles se cramponnait à l'accoudoir, serrait les dents et priait le ciel que pour une fois, une seule fois, Edward ne se trompe pas.

La route défilait à une vitesse vertigineuse. Elle surgissait trente mètres en avant, s’engouffrait sous les roues du bolide, pour disparaître aussitôt, avalée par le brouillard. Le maigre faisceau des phares n'éclairait rien et la végétation alentour n'était que des ombres fantômes qui s’évanouissaient a peine écloses.

Charles regardât sa montre.

Il était à peine sept heures trente. Ils avaient une réunion du conseil de direction a huit heures. Ils y seraient bien avant.

_ Tu as pensé à prendre la proposition des Chinois, demandât il.

Edward fit un signe d'assentiment de la tête et reporta son attention sur la route. Il adorait cette voiture, sa nervosité, sa tenue de route. A plusieurs reprises, il avait eu la possibilité d'aller la pousser sur un circuit. C'était un véritable bijou de mécanique qui répondait a ses moindres sollicitations. D'un geste sec il rétrograda, descendant deux vitesses presque coup sur coup. Un virage approchait, il le savait. Un virage serré, étroit, pas relevé. Le moteur rugit, ralentissant la course du projectile, faisant jaillir sous les roues des nuées de gravier. Vingt mètres encore et le petit pont de pierre du moulin de Derfort. Edward commença à accélérer, il pouvait passer le pont à la limite de la troisième.

Un bref coup d’œil au compteur, cent quarante. A côté de lui Charles serrait les dents. Il s'y ferrait !

Déjà l'ombre des peupliers qui bordaient la rivière surgissait, le pont était là. Soudain une ombre énorme inonda la route.

Le camion du laitier.

Edward rétrograda en catastrophe, écrasant le frein tout en se cramponnant au volant.

Il fallait que ça passe.

Le camion se serra au maximum sur sa droite, la voiture maintint sa trajectoire, Edward était cramponné de toutes ses forces au cuir du volant.

Ils passaient.

Le choc fût terrible. Le pilier du pont était en pierres dures et grises, et la voiture explosa avant de retomber dans le lit boueux de la rivière.

Edward n'attendait pas le pont si tôt.

 

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Quand Charles revint à lui, il était allongé sur un lit d'hôpital, incapable du moindre mouvement. Sa tête le faisait horriblement souffrir et il avait l'impression d'être passé sous un rouleau compresseur. Il avait une perfusion dans le bras gauche et une canule d'oxygène dans le nez.

Il ouvrit doucement les yeux, la lumière lui faisait des éclairs fulgurants et il avait du mal a discerner ce qui l'entourait.

_ Charles, vous m'entendez ?

Oui, il entendait, mais il ne voyait pas qui lui parlait. Difficilement il hochât la tête. De sa main droite, il chercha sur le drap froissé, le contact d'une main. L'inconnu vint à sa rencontre et cette intimité lui fit du bien.

_ Edward ? Réussit il a articuler dans un souffle.

_ Je suis désolée, il est décédé dans l'accident.

La voix était féminine, connue. Ce n'était pas sa mère, trop d'aigus, pas assez sèche.

_ Martha ?

_ Oui ! Ne vous fatiguez pas, le médecin dit que vous devez dormir. Il y a six jours que vous êtes dans le coma. Nous nous relayons Georges et moi pour vous veiller.

_ Mère ?

_ Votre mère est souffrante, elle c'est trouvée mal hier, à l'enterrement de votre frère. J'ai peur que sa raison ne soit atteinte. Quand elle a repris conscience, dans l'ambulance, elle nous a dit avoir vu votre frère qui demandait a tout le monde qui l'on enterrait.

 

18 Oct 2018

Majunga ma ville

Je sus arrivé à Majunga en 2016, mais j'avais eu l'occasion de découvrir cete ville lors d'une courte période de vacances en 2015, avec ma compagne Béatrice. Je suis de suite tombé amoureux de cette ville en bord de mer. Le climat est privilègié, il y fait beau une grande partie de l'année et s'il pleut, généralement c'est la nuit. Bien sûr, comme tous les pays tropicaux, nous connaissons une saison des pluies et une saison violent ou se mêlent pluies et cyclones. Mais même sous la pluie la plus battante, cette ville est belle.

Je diviserai Majunga en deux parties distinctes, Majunga Bé, (Bé veut dire grand ou plus vieux suivant comment il est employé) c'est la ieille ville, avec ses relents de colonialisme et sa magnifique promenade au bord de mer.

L'autre ville est la ville nouvelle, avec ses magasins vétustes, ses échopes installées sur les trottoirs, sa circulation folle et polluée et la foule, partout, bigarrée, bruyante, joyeuse. Il y a quatre marchés sur Majunga, Tsaramandroso, Mahabibo, Marolaka et le Marché Bé, dans la vieille ville. On trouve de tout sur les marchés, des légumes a profusion, du poisson pèché de la nuit, des crevettes et autres gambas ou camarons. Les bouchers sont en plein air, sur de étals couverts de mouches et vous proposent de la viande de zébu, ou de chèvre, des poulets "gasy" c'est à dire Malgaches ou " de chair" de bons poulets comme nous avons l'habitude d'en voir en France. Mais aussi de l'art Malgache, des paniers tressés, des chapeaux, des instruments de musique ou des petites voitures de métal faites à base de canettes de coca.

15 Oct 2018

Auteur noveliste

Pendant des années, travail oblige, je me suis contenté d'écrire des nouvelles. Des petites histoires courtes qui étaient la résultante ou la réaction à un article que j'avais lu, une situation que j'avais partagé. Ce n'était que des petites histoires que j'écrivais pour satisfaire mon besoin d'écrire et même si, au sein de ma famille, je ne trouvais pas le public que j'attendais, ces textes m'apportaient le plaisir de les monter. Bon nombre n'ont pas été publiés et ne le seront peut être jamais.

Mais je vais vous en livrer quelques uns ici, juste pour le plaisir de les voir, peut être, lus par quelque visiteur égaré dans mes pages.

Entre deux articles sur le beau pays que j'habite, sur sa vie et ses évolutions hasardeuses et difficiles, je vous ouvrirai mes cartons en essayant d'égayer mes textes par quelques belles photos.

Si vous êtes un voyageur des sites, si vous promenez vos pas dans mes lignes, ne partez pas sans me faire un signe, un commentaire, un sourire.

13 Oct 2018

Majunga Madagascar

Mahajanga est une ville portuaire située sur la côte nord de Madagascar. Sur le front de mer, le boulevard de la Corniche, agrémenté de palmiers et d'étals de vendeurs de rue, mène à un immense baobab. La ville est bordée de plages, dont celle du Grand Pavois, comprenant plusieurs restaurants à proximité. Non loin de là, le canyon du Cirque rouge est doté de remarquables falaises carmin. Face à la baie de Bombetoka, le phare du village de Katsepy offre une vue panoramique.

C'est cette ville que j'ai choisi pour y passer les dernières années de ma vie. Il y règne un climat agréable, des températures que d'aucun trouveront chaudes, mais qui correspondent bien a mon besoin de soleil. Cet éloignement de la France me tiens certainement loin des possibilités de promotion et de diffusion de ce que j'écris. Mais est ce vraiment là l'essentiel? Il est certain qu'un auteur écrit pour être publié et que la résultante logique est la vente et la promotion de ses oeuvres. Mais j'ai fais un autre choix.

J'écris parce que j'aime écrire, je publie peut être avec l'ambition folle de laisser quelque part une trace de ma passion. Je n'écris pas pour gagner de l'argent ni devenir célèbre. Alors si mes petites histoires vous plaisent, partagez les et faites les partager. Un livre, qu'il soit de papier ou numérique doit se partager. Ici, à Madagascar, j'offre à la bibliothèque de l'alliance Française tous les livres que j'achète et un exemplaire de chacun de mes écrits. Il faut lire et faire lire.

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